CECI n'est pas EXECUTE Koyré : Appel à communication - Colloque « Technique et religion : cultures techniques, croyances, circulations de l’Antiquité à nos jours » (14-15 septembre 2020)

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Appel à communication - Colloque « Technique et religion : cultures techniques, croyances, circulations de l’Antiquité à nos jours » (14-15 septembre 2020)

Date limite de soumission : 30 novembre 2019

Appel à communication - Colloque « Technique et religion : cultures techniques, croyances, circulations de l’Antiquité à nos jours » (14-15 septembre 2020)

*English version below*

Ce colloque a pour but de faire une place spécifique à la réflexion sur les relations entre technique et religion. L’histoire des sciences sociales a réservé, jusqu’à une époque récente, une place relativement marginale à la technique comme sphère d’activité humaine, privilégiant comme objet d’étude les domaines où se manifeste la cohérence d’une conscience collective, notamment la pratique religieuse. Un partage s’est fait entre la primauté que la sociologie naissante accordait au fait religieux comme phénomène social de base (Émile Durkheim) et les pratiques instrumentales, dès lors circonscrites au domaine infra-social de la subsistance organique individuelle. Technique et religion, deux formes fondamentales de découverte et de constitution de l’expérience, ont ainsi donné lieu dans les sciences sociales à des « intérêts de connaissance » divergents qui ont historiquement commandé la sélection et la formulation des objets de connaissance. Pourtant, l’histoire des techniques et celle des religions n’ont jamais cessé d’interagir, souvent de manière conflictuelle.

Les interférences entre techniques et religions appartiennent d’une part, à l’histoire de la pensée, des dogmes et de leurs interprétations. D’un côté, se tient par exemple le modèle d’Alfred Espinas,  soit la laïcisation progressive des techniques marquant selon lui la discontinuité entre l’époque archaïque et l’époque classique. Dans ce schéma, la période « physico-théologique », qui s’étend du VIIIe au Ve siècle av. J.-C., est caractérisée par l’emprise du sentiment religieux sur l’agir artisanal. Les techniques sont conçues comme des dons divins et leur transmission est fondée exclusivement sur l’imitation et la tradition. La période de l’organon, qui s’étend du Ve au IVe siècle av. J.-C. est, quant à elle, caractérisée par la différenciation croissante des métiers et la sécularisation des pratiques. Ce schéma, qui repose sur une utilisation contestable des sources, a été repris par Vernant. Il est temps de le problématiser et de l’ouvrir.  Autre exemple : le mouvement de sécularisation des religions et de désacralisation de la nature, associé aux monothéismes, eux-mêmes perçus comme les leviers de la connaissance, de l’exploitation de la nature et éventuellement, de la recherche du profit, dès le Moyen Âge ou à l’âge de la Réforme, selon les auteurs. La technique participe étroitement de ces raisonnements mais elle en a aussi été autonomisée. Dès le XIXe siècle, le culte du progrès et de l’industrie, bien étudié et de manière renouvelée, trace la voie d’une eschatologie laïcisée que certains penseurs au tournant du XXe siècle ont pu amplifier par leurs espoirs en l’avènement du socialisme et d’une société du travail émancipateur. Les analyses critiques et distanciées au XXe siècle, qu’il s’agisse de Lynn White, David Noble, Pierre Musso, mettent en avant la valeur dogmatique de la sacralisation du progrès et l’effet d’aveuglement qu’il suscite. Ces approches sont actuellement traversées par plusieurs types de questionnements. Comment la philosophie des techniques analyse-t-elle ces glissements entre la religion et la technique ? Doit-on suivre Gilbert Simondon et sa définition de l’universalisme, en tant que réalité « primitive » partagée, la technique étant à ce titre « encore plus primitive que la religion », car originelle, consubstantielle de la vie ? Qu’en est-il pour les anthropologues ? Un autre ensemble de questions concerne les usages actuels des théorisations du lien entre technique et religion. La « Needham question » faisait de la religion un argument clé visant à expliquer le soi-disant repli de la Chine après la période faste des Song. Le thème, absent de la démonstration de Kenneth Pomeranz, tout comme les techniques, est de nouveau mis au jour par des historiens soucieux d’élargir la focale de la Grande Divergence. Non sans débat. Peut-on adopter des perspectives macro-historiques et des généralisations pour traiter des interférences entre technique et religion ? Peut-on comparer des systèmes religieux, des cosmogonies ou même des constructions temporelles à l’échelle de la planète ? Enfin, qu’entend-on par religion et par technique ? Ne doit-on pas plutôt évoquer des cosmogonies, des représentations de l’univers, de sa construction et de son équilibre et ne devrait-on pas déconnecter les techniques d’une acception économique (économiste) qui les associe à la recherche d’avantages concurrentiels et de profit, des notions très éloignées des attentes placées dans « l’action efficace » dans bien des civilisations ?

Ceci nous conduit à un deuxième volet de la réflexion : les interférences entre technique et religion dans les mondes de la pratique. La dimension matérielle de la place des techniques dans les religions est au cœur de bien des travaux actuels qui, loin de se placer à un niveau de généralité comme cela a souvent été le cas, revendiquent un point de vue anthropologique et ethnologique (rites, magie, cérémonies, artisanat conventuel, etc.). Alors que l’univers religieux est souvent considéré à la lumière de la seule spiritualité, par exemple chez les lettrés en Europe après la Réforme, bien des études relèvent d’une part la spiritualité des techniques, et de l’autre l’importance des objets, des gestes, des techniques et même, de leur codification dans l’exercice religieux. Ces rapports passent aussi par des images et des spectacles, comme c’est le cas dans le christianisme à l’époque moderne. Les artefacts techniques peuvent représenter des idées religieuses et inversement, l’imagerie religieuse peut représenter des techniques et des instruments. Une différence avec les grands récits et les théorisations tient aux sources. Quelles archives, objets, images pour cette histoire matérielle des religions et des techniques ? Quel outillage conceptuel et quelles méthodes d’analyse sont mises en place à la croisée de l’histoire des techniques et des sciences sociales ? Ces approches peuvent-elles renouveler les généralisations à l’échelle globale, par une analyse localisée comme cela se dessine à propos des temples bouddhiques en Chine ? Peuvent-elles aussi permettre de rouvrir la question des cosmogonies de manière plus concrètes ? En ce sens, quelle place faire à la magie et selon quelles définitions, si l’on veut pouvoir l’analyser dans une perspective comparative ?  Enfin, se posent les questions des circulations interculturelles des rites et des artefacts, des dynamiques d’emprunts et des interactions entre circulations religieuses et techniques. Le thème est vaste et interroge également les rapports des communautés religieuses à la technique, qu’il s’agisse d’assignations traditionnelles (y compris la négation du rapport aux techniques), de leur mise en cause, de revendications communautaires passant par les techniques, ou encore du rôle de passeurs, tels les jésuites (et leurs convertis), en Asie et en Amérique du Sud, et de bien d’autres intermédiaires moins visibles, que l’on commence à identifier.

Pour répondre à ces pistes de recherche, le choix a été fait de ne pas restreindre le sujet à une religion, un espace ou une période déterminées. Au contraire, les religions et aires culturelles seront abordées dans leur diversité afin de favoriser une conceptualisation inclusive des rapports entre techniques et religions, ainsi qu’une attention aux évolutions et aux circulations à l’œuvre dans le temps et dans l’espace. Il reviendra aux contributeurs de définir les cadres et limites de ces rapports, tout en mettant en évidence les caractères propres aux religions, spiritualités, ou techniques qui seront étudiées, afin de nourrir une réflexion collective sur ces interactions et ne pas imposer de conception a priori de leur nature ou de leurs formes. Enfin, si le colloque fonde sa démarche sur une approche historique, cet appel est ouvert à des contributions mobilisant des approches disciplinaires diverses (anthropologie, ethnologie, sociologie, philosophie, géographie, économie).

Les propositions de communications doivent parvenir pour le 30 novembre 2019 à : liliane.perez@wanadoo.fr

Il convient de joindre : le titre de la communication, le résumé et un CV.

Langues conseillées : anglais et français.


Comité d’organisation : Guillaume Carnino (Univ. de Technologie de Compiègne/COSTECH), Liliane Hilaire-Pérez (Univ. de Paris/ICT-EHESS/CAK-IUF), Leopoldo Iribarren (EHESS/ANHIMA), Chuan-Hui Mau (Univ. Tsing Hua, Taïwan/ICT), Evelyne Oliel-Grausz (Univ. Paris1/IHMC), Sébastien Pautet (Univ. de Paris/ICT)

Comité scientifique : Alain Arrault (EFEO), Gianenrico Bernasconi (Univ. de Neuchâtel), Cléo Carastro (EHESS/ANHIMA), Charlotte de Castelnau (Univ. de Paris/ICT), Philip Cho (Yonsei University, Underwood International College), Ludovic Coupaye (University College, Londres), Karel Davids (Vrije Universiteit Amsterdam), Pierre-Antoine Fabre (EHESS/CeSoR), Hélène Joubert (Unité patrimoniale des collections Afrique, Département du patrimoine et des collections, Musée du Quai Branly-Jacques Chirac), Pierre Musso (Univ. de Rennes/LAS), Perig Pitrou (CNRS/LAS), Patrick O’Brien (LSE), Olivier Raveux (CNRS/TELEMME), Catherine Verna (Univ. Paris 8/ARSCAN).



International Symposium
Technique and Religion:
Technical Cultures, Beliefs, Circulations from Antiquity until Today
(Paris, 14th-15th September 2020)

The purpose of this symposium is to offer the opportunity and the place to conduct a reflection on the relationship between technique and religion. Until recently, the history of social sciences has reserved a relatively marginal place to technique as a sphere of human activity, instead taking as objects of study areas where the coherence of a collective consciousness is manifest, notably religious practice. A separation was drawn between the primacy that then-emerging sociology granted to the religious fact as a basic social phenomenon (Emile Durkheim) on the one hand, and instrumental practices, which were therefore limited to the infra-social domain of individual organic subsistence, on the other hand. Technique and religion, two fundamental forms of discovery and of constitution of experience, have thus, in the social sciences, given rise to divergent “interests of knowledge” that historically account for the selection and formulation of objects of knowledge. Yet history of techniques and history of religion have never ceased to interact, often in a conflicting manner.

Interferences between techniques and religions belong, on one side, to the history of thought, of dogmas and of their interpretations. On the one hand, for instance stands Alfred Espinas’s model, i.e. the progressive secularization of techniques, which he believed marked the discontinuity between the archaic and classical periods. According to this scheme, the “physico-theological” period, which stretches from the 8th to the 5th century BC, was characterized by the influence of the religious feeling upon artisan action.  Techniques were conceived as divine gifts and their transmission was exclusively based on imitation and tradition. The period of the organon, which extends from the 5th to the 4th century BC, is characterized by the increasing differentiation of professions and the secularization of practices. This model, which is based on a questionable use of sources, was endorsed by Jean-Pierre Vernant. Yet  the time has come to problematize and discuss it. Another example is the movement of secularization of religions and desacralization of nature, associated with monotheisms, themselves perceived as levers of knowledge, of exploitation of nature and, possibly, of the pursuit of profit, since the Middle Ages or the Reformation, according to the authors. Technique is tightly interwoven into these rationales, but it has also been disconnected from them. As early as in the 19th century onwards, the cult of progress and industry --which has been studied thoroughly and has been renewed-- paved the way for a secularized eschatology that some thinkers at the turn of the 20th century could magnify for their hope in the advent of socialism and of a society emancipated by labour. Critical and distanced analyses elaborated in the 20th century, whether by Lynn White, David Noble or Pierre Musso, highlight the dogmatic value of the sacralization of progress and its blinding effect. These approaches are currently subject to several types of questioning. How does the philosophy of techniques analyse these shifting movements between religion and technique? Should we follow Gilbert Simondon and his definition of universalism, as a shared “primitive” reality, technique being “even more primitive than religion”, because of its original, consubstantial relationship with life? What about anthropologists? Another set of questions address the current uses of the theoretical analyses of the link between technology and religion. The “Needham question” made religion a key argument to explain China’s so-called decline from the Song dynasty onwards. This theme, as well as techniques more broadly, is absent from Kenneth Pomeranz’s demonstration but it has been raised afresh by historians concerned with broadening the scope of the analysis of the Great Divergence. Which has ignited debates. Should macro-historical perspectives and generalizations be adopted to analyse interferences between technology and religion? Should we compare religious systems, cosmogonies or even temporal constructions on a global scale? Finally, what is meant by religion and by technique? Should we not, instead, evoke cosmogonies, representations of the universe, of its construction and harmony, and should we not disconnect the techniques from an economic (economist) perspective that associates them with the search for competitive advantages and profit, notions quite alien to the expectations placed in “effective action” in many a civilization?

This leads us to a second part of the reflection: the interferences between techniques and religion in the worlds of practice. The material dimension of techniques in religions is at the heart of much recent research which, far from adopting a level of generality as it often used to, adopts an anthropological and ethnological point of view (rituals, magic, ceremonies, conventual craft, etc.). Whilst the religious universe is often considered in the light of spirituality alone -- that as the case for example for European scholars after the Reformation -- many studies highlight the spirituality of techniques on the one hand, and, on the other hand, the importance of objects, gestures, techniques and even their codification in religious practice. These relationships also entail the production of images and performances (see early modern Christianity). Technical artefacts can represent religious ideas and, conversely, religious imagery can represent techniques and instruments. They differ from the great narratives and theorizations for they tap into other sources. What are the archives, objects, images for this material history of religions and techniques? What conceptual tools and methods of analysis are employed to conduct this study at the crossroads of the history of techniques and of the social sciences? Can these approaches renew generalizations on a global scale, through a localized analysis as it appears to be the case for Buddhist temples in China? Can they also allow for a reframing of the question of cosmogonies in a more concrete way? In this sense, what place should be given to magic and according to which definitions, if any comparative perspective should be implemented? Finally, intercultural circulation of rituals and artefacts, dynamics of borrowing and interactions between religious and technical circulations should also be tackled. The theme is vast and also questions the relationship of religious communities to techniques, be they their traditional assignments (including the negation of the relationship to techniques), their questioning, the community claims made by means of techniques, or the role of brokers, such as Jesuits (and their converts), in Asia and South America, and many other less visible intermediaries, who are beginning to be identified.
To answer these research questions, there is no restriction to one specific religion, territory or period. On the contrary, religions and cultural areas will be mobilized in their diversity in order to promote an inclusive conceptualization of the relationships between techniques and religions. Special attention will be also paid to developments and circulations at work across time and space. It will be the contributors’ task to define the frameworks and limits of these relationships, while highlighting the specific characteristics of the religions, spirituality, or techniques investigated, in order to foster collective reflection on these interactions and not to impose an a priori conception of their nature or forms. Finally, even though the symposium is based on a historical approach, this call is open to papers from various disciplines (anthropology, ethnology, sociology, philosophy, geography, economics).

Proposals should be submitted by the 30th of November 2019 to: liliane.perez@wanadoo.fr

It is required to join: the title of the paper, an abstract and a CV.

Languages: English and French.


Executive committee: Guillaume Carnino (Univ. of Technology, Compiègne/COSTECH), Liliane Hilaire-Pérez (Univ. of Paris/ICT-EHESS-CAK/IUF), Leopoldo Iribarren (EHESS/ANHIMA), Chuan-Hui Mau (Univ. Tsing Hua, Taïwan/ICT), Evelyne Oliel-Grausz (Univ. Paris1/IHMC), Sébastien Pautet (Univ. of Paris/ICT)

Scientific committee: Alain Arrault (EFEO), Gianenrico Bernasconi (Univ. of Neuchâtel), Cléo Carastro (EHESS/ANHIMA), Charlotte de Castelnau (Univ. of Paris/ICT), Philip Cho (Yonsei University, Underwood International College), Ludovic Coupaye (University College, Londres), Karel Davids (Vrije Universiteit Amsterdam), Pierre-Antoine Fabre (EHESS/CeSoR), Hélène Joubert (Direction of collections for Africa, Museum of Quai Branly-Jacques Chirac), Pierre Musso (Univ. of Rennes/LAS), Perig Pitrou (CNRS/LAS), Patrick O’Brien (LSE), Olivier Raveux (CNRS/TELEMME), Catherine Verna (Univ. Paris 8/ARSCAN).
 

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